ROSSFELDER, KILLIAN ET PAPADACCI

Publié le par leblogdegeorgesdillinger

 

L’Association pour la "Mémoire de l’Empire français" et son bulletin sont légitimement estimés par de nombreux Français ayant vécu et travaillé dans nos anciennes colonies et par d’autres simplement motivés par l’intérêt porté par le rôle de la France outre-mer. Or, dans un numéro récent publié par cette revue dont j’ai eu connaissance comportait un article qu’on ne peut laisser passer sans mot dire.

 J.-P. Papadacci a écrit dans une note infra paginale les lignes suivantes : "André Rossfelder, écrivain mythomane, réfugié aux USA eut un jour l’impudence d’attaquer Conrad Killian dans le journal Présent et de lui contester le titre d’inventeur du pétrole saharien".

1. Après avoir retourné le qualificatif de mythomane à celui qui a cherché à l'appliquer à André Rossfelder, je rappellerai seulement qu’André Rossfelder s’engagea dans l’action armée dès l’âge de 17 ans durant la Seconde Guerre mondiale, qu’à 18 ans, il fut parachutiste au 1er  R.C.P., chef de section dans les Vosges et en Alsace – où il fut grièvement blessé – et fut démobilisé avec la Croix de Guerre et la Médaille Militaire alors qu'il n'avait pas encore 20 ans !

Par la suite, pendant plus de vingt ans, tous ses efforts ont visé au développement scientifique et économique, et à la simple survie de sa province. Rappelant la découverte de pétrole qu’il fit à l’oued Gueterini, sa recherche scientifique sur la marge continentale algérienne, sa participation à la demande du colonel Lacheroy aux émissions de Radio Alger en 1958 et 1961, sa participation au second Conseil National de la Résistance en compagnie de Georges Bidault et de Jacques Soustelle, son implication à la tentative d’attentat contre le Guide de 1963. Son passé et sa stature le mettent bien à l'abri des souillures dont on cherche à le maculer.

2. Oui, Rossfelder a écrit que Conrad Killian ne fut pas l’inventeur des pétroles sahariens, et il a raison. Il est vrai que Conrad Killian fut un grand géologue et que ses explorations sahariennes furent quasiment surhumaines. Au cours d'une randonnée chameulière menée dans des conditions rocambolesques, il jeta les bases de la stratigraphie des Tassilis mieux que n'avaient pu le faire les explorateurs précédents. Killian était lui-même un peu mythomane puisque les chameliers indigènes qui l’accompagnaient au cours de ses expéditions se voyaient qualifiés par lui d'écuyers et de porteurs de gonfanon. Mais en vérité, non seulement Conrad Killian n’a pas découvert le pétrole saharien, mais il a même tenté de nombreuses démarches à Alger et en métropole pour que sa prospection n’y fut pas entreprise. Pourquoi ?

La raison en est simple, d'ailleurs confirmée par le texte de Papadacci lui-même. Conrad Killian a toujours été persuadé qu'il existait du pétrole au nord de l’Afrique, mais pour lui, c’était au Fezzan et non point au Sahara (français). Précisons que le Fezzan, une des provinces de la Libye, est situé à l'est du méridien passant immédiatement à l'ouest de Ghadames et Rhat. Notre Sahara, composé de départements français dans les dernières années de la colonie, était situé à l'ouest du même méridien. Pour que la France investisse ses efforts dans cette province libyenne, il a tout fait pour que la France ne se lance pas dans l'exploration du Sahara. Je rappelle à nouveau que le Sahara était français, que le Fezzan ne l’était pas. Son erreur fut totale, d'ailleurs parfaitement explicable avec les connaissances que nous avions à l’époque. Mais écrire que Killian fut l’inventeur des pétroles sahariens est radicalement faux. En vérité, si nous l'avions suivie, la France n'aurait pas découvert en 1956 le gisement pétrolier d'Edjeleh Tin Azaoua en février, puis les champs géants d'huile d'Hassi-Messaoud en juillet et de gaz d'Hassi-Rmel en novembre.

3. Ce pathos se devait d’être couronné par la mise en question du suicide de Conrad Killian dans un l’hôtel de la rue Thiers à Grenoble. Conformément à la version romanesque propagée par des journalistes, la version du suicide couvrirait un assassinat imputable à des « intérêts anglais ». Mais que diable, pourquoi l’Intelligence Service va donc aller assassiner Conrad Killian en 1950 ? Rappelons que six géologues d"Esso Standard, à l’invitation du gouvernement français, avaient parcouru notre Sahara dans les années 1948-1949 pendant plusieurs mois. Ils avaient conclu que le Sahara (français) n’avait aucun intérêt pétrolier. L’Intelligence Service se fiait plus à ses spécialistes américains qu'à un individu tel que Conrad Killian, jamais totalement pris au sérieux à l'échelle internationale.

En revanche, il existe un argument – même s’il est hypothétique – en faveur de la réalité du suicide. Des témoins m'ont affirmé que Conrad Killian était déjà affecté de crises de démence. La souffrance dont la victime est affectée et l'angoisse qui l’étreint dans les périodes de lucidité retrouvée, peuvent amener au suicide un homme aussi tragiquement affecté.

On comprend que des journalistes avides de rentabiliser leur prose aient fabriqué le roman noir de Conrad Killian. Mais il est désolant que cet empilement d'affirmations contestables soit repris encore de nos jours dans une revue sérieuse.

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